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Le 7 janvier 2015

 

 

Un an et Auguste ne soufflera pas sa première bougie.

Un an de pleurs, de tristesse, de souffrance et de tensions.

Un an entre parenthèses.
 

Notre fille a grandi. Elle a un an de plus. Elle dort toujours dans ce grand lit qu'elle avait commandé au Noël dernier pour laisser son lit de bébé à son petit frère. Sa petite sœur à naître se glisse petit à petit dans ses rêves.

 

La nuit dernière a été courte. Je me suis retournée tant de fois sans réussir à trouver les sommeil que les douleurs de symphyse pubienne, ce matin, étaient atroces.

 

Ce petit frère, mon petit bébé, notre fils, lui, ne grandira jamais. Il est mort, il y a un an dans mon ventre et aujourd'hui une petite fille, une petite crevette danse et s'amuse dans ce même lieu sacré, au creux de mes hanches, juste sous mes côtes. Tout se bouscule dans ma tête. « On vous en demande beaucoup Â» a lancé la sage femme chez qui j'ai atterri hier pour un rendez-vous fixé depuis quelques semaines sans m'être rendue compte de la date à ce moment-là.

 

« On vous en demande beaucoup.. mais il va falloir songer à quitter cet état de zombie, à laisser partir Auguste et à accueillir les mouvements de ce nouveau bébé tout simplement comme des signes de vitalité et non des alertes ou des appels à vous replonger dans le passé, à vous tourner vers la mort. Il est triste de parfois devoir en passer par l’expérience de la perte d'un être cher pour réaliser ce qui compte dans la vie, ce qu'il y a de beau. Les gens qui se réjouissent par avance de l'arrivée de cette petite crevette ne doivent pas vous blesser. Ils vous montrent le chemin de la vie. Ce bébé a besoin de sentir qu'il est attendu, qu'il fait déjà le bonheur autour de lui. Â»

 

Comment ne pas songer à tout ce que j'ai vécu cette année : l'annonce (le seul cauchemar qui revient encore et encore), les souffrances physiques et les heures d'attente interminables, l'accouchement silencieux, la rencontre « Ã  sens unique Â», sans regards échangés, les adieux, une vie qui recommence sans lui, un corps épuisé qui n'a plus de repères, d'autres injustices de la vie, la maladie, l'espoir puis la fausse couche, la goutte de trop, les angoisses, l'envie de mourir, la fatigue psychique, le mal-être et l'espoir à nouveau qui n'a plus de saveur tant il est emprunt de souffrance et tant il est bridé par la peur.

 

« On vous en demande beaucoup Â», ça c'est sûr, je confirme. La solitude dans ma situation est terrible. Autour de moi, il y a bien du monde mais, il y a ceux qui n'ont jamais compris, il y en a qui étaient là mais que cette proximité a refroidis, il y en a qui préfèrent oublier, il y en a qui souffrent tant qu'ils restent dans leur bulle. Heureusement, il y a l'association et aussi des paroles ou des gestes  de ceux qui ont compris qu'il fallait en parler, m'en parler et ne surtout pas faire comme si cela n'avait pas eu lieu. Ces petits cadeaux et moments qui ont ponctué mon parcours ont été et sont encore aujourd'hui très précieux mais si rares. Dans mon bilan, c'est la solitude, « le syndrome du cas isolé Â», le 0,3 cas pour 1000, qui reste le plus douloureux.

 

Je ne suis pas folle mais au fond bien brisée . « Auguste ne souhaite pas cela Â» m'a t-elle dit. Surement mais il n'est pas là pour me le dire.

 

J'ai 31 ans maintenant. Ces dates anniversaires nous font souvent nous poser les bonnes questions. Il y aura eu trois bougies pour son noël, rallumées ce soir sont là pour lui rappeler à quel point nous pensons à lui s'il nous voit ou nous entend de là où il se trouve..

 

J'ai tant de contractions en écrivant ces lignes qu'il ne serait pas raisonnable d'étayer ce bilan ce soir.

 

J'ai pleuré hier, j'ai très mal dormi mais je suis bien là, vivante, un an après. Ma fille et mon homme sont là aussi. Chacun a vécu cette année à sa manière mais nous avons survécu. Je suis fière de ce constat. Nous avons vécu des moments atroces de désespoir mais il est temps de montrer à cette petite crevette que sa grande sÅ“ur l'attend, que son petit frère a bien sa place là-haut et que comme dit ma fille « maman, quand elle va sortir, ça va te faire trois enfants ! C'est beaucoup ! Â» La simplicité du résumé de la situation qui peut sortir de la bouche d'une petite fille de trois ans et demi peut m'aider à avancer tant elle est juste et sans calcul.

 

Trois enfants, c'est pour moi l'image d'une grande famille. C'est en effet, là, notre situation familiale restaurée par une parole d'enfant. C'est un vrai défi pour la tête et le corps. La tête qui pensera toujours à ce petit garçon du milieu qui aurait pu faire tourner en bourriques ses deux sœurs devant le regard de ses parents épuisés par une telle énergie d'enfants et le corps qui exprime ces jours-ci des signes évidents de fatigue due à ces grossesses rapprochées.

 

Auguste a partagé des moments avec nous mais son chemin s'est arrêté il y a un an . Personne ne me le rendra. Je ne verrai jamais grandir mon petit bonhomme. Sa petite sÅ“ur me rappellera bien vite tout ce qui nous émeut dans le développement d'un enfant. Ma grande nous offre ce spectacle tous les jours et même si parfois on perd patience dans les moments on a l'impression qu'un petit monstre a pris sa place, une fois que la tempête a cessé, on se laisse à nouveau surprendre par sa force, cette force d'enfant et notre émerveillement face à ce petit être en construction qui découvre le monde tout simplement.

 

En regardant le sapin, à chaque fois, cette année, je me suis répétée et j'ai dit tout bas ces mots «  Noël prochain, tu seras là avec nous. Â» les mains sur mon ventre. On aurait pu attendre. Est ce que cela aurait été moins difficile à gérer : le deuil au quotidien avec cette grossesse à vivre. Est-ce une nouvelle question qui a du sens ? Croyons pour une fois que si nous avons pris cette décision, c'est que c'était la bonne. « ÃŠtre dans le plaisir au quotidien, c'est bon pour cette crevette qui ne demande qu'à vous combler, comme le souhaite tous les enfants qui veulent simplement faire plaisir à leur papa et à leur maman. Â»

 

Aujourd'hui, il faisait beau. Mon repas de midi a été apprécié de tous. Les mots de la sage femme sont encore frais dans ma tête. Et aujourd'hui d'autres pleurent des personnes chères qui ont perdu la vie de manière injuste et cruelle. La France pleure mais va se relever plus forte encore. Réjouissons-nous d'être là. Chaque jour est source de plaisir. J'ai passé du temps avec des gens bienveillants que j'étais heureuse de revoir. Je ne suis pas restée à me morfondre devant un écran ou bien des photos. Deux amis ont pensé à Auguste aujourd’hui et m'ont écrit pour me soutenir. Deux. Je les en remercie. Ils ont compris mon message. Moins on en parle, plus le silence dure et la gène s'installe et plus on se sent isolée, incomprise.. Auguste est mort le 7 janvier 2014. Le 10 janvier, sa date de naissance sans vie, est peut-être la date que mon entourage aura retenu, je ne sais pas.

 

Je pars me coucher en tentant de considérer cette date, celle du 7, comme une étape franchie, une victoire en quelque sorte, un repère du temps qui passe mais plutôt positif, pour tous les moments où je me suis vue suspendue, immobile, figée, en apnée. Le calendrier que je n’osais remplir s'est vu à nouveau décoré et annoté de toutes parts. En le regardant, je me dis qu'avec un tel emploi du temps de ministre, les semaines ne peuvent que défiler à toute vitesse. Je suis à 31 semaines aménorrhée. Auguste est mort à 34 S A mais cette petite crevette a déjà la tête en bas pour me montrer qu'il faut que je prépare son arrivée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 9 janvier 2015:

 

 

Mon médecin/psy nous a reçu tous les trois pour la première fois. Les adultes à l'école, trouvait notre fille tristounette et je la sentais très angoissée au coucher depuis quelques jours.

 

Une séance plein de lumière pour la maman que je suis et riche de mots et d'images pour tous les trois.

Elle lui demande : Â« Qui est Auguste ?»  « C'est mon petit frère parti dans les étoiles Â»

En dessous du dessin de ma fille, elle ajoute une famille Fleur sous l’œil attentif de ma grande fille : Maman Fleur, Papa Fleur, Grande Sœur Fleur , Petite sœur Fleur (toute petite) et Petit frère Fleur, couché.

« Pourquoi ?» lui demande ma fille la gorge nouée.

«  C'est une fleur morte qui n'a plus besoin d'eau, ni de soleil, qui n'a ni froid, ni faim, qui ne bouge plus et qui va se mélanger à la terre. Â»

 

Cette fleur n'a pas été oubliée dans ce portrait de famille mais on la laisse reposer en paix. C'est ainsi que je l'ai compris. Ma fille parle de notre situation familiale ouvertement à son école depuis ce rendez-vous..sans tristesse.

 

Je ne fais pas ici la pub pour les thérapies familiales chez le psy. Chaque professionnel a sa propre manière d'exercer. Je ne peux qu'exprimer la force des révélations de cette séance en particulier pour moi et des effets positifs, à mon sens, sur ma fille. N'y voyez-là aucun émerveillement devant un phénomène du type « effet définitif de baguette magique Â» mais simplement le soulagement d'une maman et la première étincelle d'une réflexion qui tombait bien.

 

 

 

 

Le  10  janvier  2015:

 

 

Ce matin, ma grand mère m'a vraiment émue avec son petit message tout simple et si précieux de soutien. Deux amies se sont aussi exprimées par le même biais. Cela m'a beaucoup touchée. Les autres, peut-être, se sont retenus, ont eu peur, ou alors ont juste oublié..

 

Ce soir, les trois bougies ont été rallumée par deux petites filles, ma fille et sa copine. Une pour Auguste, une pour une dame âgée formidable qui nous a quitté il y a deux jours, une pour ma chienne qui me manque et une pour un petit chat que sa petite maîtresse de bientôt 4 ans aurait aimé garder plus longtemps. Pas une larme mais une belle lumière dans les yeux de ces petites puces et quatre bougies qui se sont éteintes dans la soirée sans que personne ne souffle.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce soir, une belle lune presque pleine et une seule étoile visible de mon balcon.

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