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La fin de l'histoire

 

Un jour, ma fille m'avait poussée à bout. Elle ne voulait pas mettre ses chaussures. Il faisait beau et nous n'étions pas sorties le matin.

Il est 16h.

« Maman, vas-y au parc si tu veux, je te rejoins dans cinq minutes. Tu attends sur le banc et j'arrive. »

« Ce n'est pas possible, tu le sais. Tu as deux ans et demi et quand on part, il faut fermer la porte à clé, descendre l'escalier et traverser la route, la place et une autre route pour aller au parc. Un adulte doit t'accompagner »

« Mais je suis grande ! Et toi, t'es pas gentille ! T'es pas gentille !»

Elle me balance ce qu'elle a à la main, et se jette sur le sol. Ca monte en moi. Je pars m'isoler dans le bureau (la pièce qui devait être la chambre d'Auguste) pour pleurer.

 

Cinq longues minutes où je veux disparaître. Elle ne me cherche pas. Elle tente d'ouvrir la porte pour sortir.

 

Je ne sèche pas mes larmes et je reviens dans l'entrée. C'est la première fois que je pleure devant elle sans personne  autour. Elle me regarde et me dit :

« Alors, il faut que je mette mes chaussures, tu peux m'aider ? »

Je ne dis rien. Nous descendons.

 

Une fois au parc, nous sommes assises l'une en face de l'autre et je commence à lui parler de son petit frère. Je lui dis que l'accident qu'il a eu dans mon ventre m'a fait beaucoup de peine et qu'il me manque. Je lui demande si elle a compris que c'est pour ça que je suis triste et je lui dis pour la première fois que ce n'est pas à cause d'elle. Je lui demande si elle a compris que son petit frère avait eu un gros problème.

« Oui, je sais. Il a eu mort. »

Je lui dis que je pleure parce que je voudrais qu'il soit là avec nous. Je lui dis comment nous l'avons appelé. Elle rit.

 

Il n'y a plus de secret entre nous.

 

« Peut-être un jour, c'est possible, y'aura une petite sœur ou un petit frère dans le ventre.»

« Qui t'as dit ça ? »

« Une dame à la crèche »

 

Merci Madame, c'est tellement bon d'entendre ça.

 

 

Quelques jours plus tard, je suis au parc avec elle, il fait beau. La famille avec le petit garçon né cinq jours après Auguste passe sur le chemin devant nous. La maman fatiguée avec son enfant dans l'écharpe, une des ses filles qui fait un caprice à côté d'elle et le papa qui gère la seconde un peu plus loin.

Je ne peux m’empêcher de penser que nous devrions être en train de vivre ces mêmes tensions. Ma fille les voit. Elle n'ose pas aller les saluer mais elle me dit:

“C'est x avec sa maman. Y'a les filles, le papa, la maman et le petit frère, comme nous”

“Oui sauf que nous, il a eu un accident, tu sais.”

“Ben oui. Comment il s'appelle déjà mon petit frère?”

“Auguste.”

“Ah oui. ”Elle sourit.“Je veux rentrer à la maison.”

 

 

 

Il nous manquait une étape cruciale pour écrire la dernière page de l'histoire. Il a fallu l'attendre sept longues semaines. Tant de jours pour savoir où était le corps de notre fils. C'est pour ce genre de dérèglements du système que je veux faire lire mon expérience. Je ne comprends toujours pas que l'on ait pu nous infliger cette souffrance supplémentaire.

 

Une personne plus « humaine » a bien voulu nous donner l'information après  la dizaine de personnes contactées depuis fin janvier.

 

A chaque fois, une grande inspiration avant de composer le numéro, le papier sous les yeux avec la date de naissance d'Auguste pour ne pas hésiter. Et toujours, en raccrochant cette même douleur dans mon ventre. Le système continuait de m'achever.

 

Ce jour-là, cette dernière personne comprend  peut-être mieux que les autres que nous n'avions pas besoin d'une autre réponse poignard du style « je ne le vois pas sur les listes», « ah non, nous n'avons pas ce nom-là» ou « non, on ne peut rien vous dire ». Nos questions sont précises et la tension plus que palpable alors cette dame explique ce que nous aurions dû savoir il y a deux mois avant de signer le document qui donnait l'autorisation à la clinique de s'occuper des démarches concernant notre fils:

 

Dans cette clinique, il y a une levée des corps par mois. Elle a lieu le dernier vendredi du mois. J'ai accouché le 10 janvier. Il n'y avait pas assez d'enfants pour le lot de janvier, ce qui a repoussé le transfert au mois suivant.

 

Je devais accoucher le 27 février. Le système a prolongé mes souffrances jusqu'à cette date.

 

Le 28 février, l'incinération a eu lieu et les cendres de notre petit garçon ont été déposées sur le monument des enfants du cimetière.

 

La veille, la date cauchemar qui était passée au ralenti laissait place à une journée de soulagement pour moi qui marquait la fin d'une épreuve de maman sans fin. Plus personne ne pourrait alors toucher à mon petit garçon.

 

Une journée de profond chagrin pour son papa. La date du terme, il n'avait jamais réussi à la retenir. C'était une journée de boulot comme les autres. La date qui marquait la crémation de son fils, elle, faisait remonter beaucoup trop de choses.

 

Nous commencions alors une nouvelle page du calendrier. Elle était blanche. Sans ratures. Le vrai retour à la case départ alors qu'une bombe avait éclaté dans notre appartement deux mois plus tôt.

 

Nous étions si heureux neuf mois plus tôt. Nous venions de prendre la décision d'avoir un autre enfant. Nous ne pouvions pas imaginer le ravage qu'un tel projet de couple pouvait déclencher. Neuf mois dans une vie, ce n'est rien. Lorsque j'ai échoué à mon concours, il a quelques années maintenant, c'était l’effondrement après une année de sacrifices, de concentration et de travail acharné. J'étais très mal mais le chemin pour me relever était personnel.

 

La bombe qui a explosé le 7 janvier 2014 dans notre famille a tout anéanti. Chaque jour, j'oscille entre espoir et désespoir. Espoir nécessaire à la reconstruction et désespoir face à l'ampleur de la tâche. Je ne suis plus seule. Ça n'est pas arrivé qu'à moi et c'est ce qui rend ça tellement plus douloureux.

 

Je me dis qu'il y aura des hauts et des bas mais que c'est la fin de son histoire à lui, l'histoire d'Auguste, mon Ange..

 

Qu'il repose en paix.

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