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De belles rencontres...

 

Deux sages femmes:

 

L'une qui nous a été présentée comme étant spécialiste des questions administratives autour de la mort in utero (congés, déclaration, documents à signer, décisions à prendre..)

 

C'est une dame qui a pris le temps de venir discuter avec nous chaque jour passé à la clinique et qui a respecté et partagé notre douleur. Elle ne nous a jamais forcé la main ou pressés. Elle nous a semblé disponible et sincère. Elle nous a parlé de l'association ASP deuil et avait elle-même participé à l'élaboration pour la clinique d'une brochure explicative sur le deuil périnatal.

 

Elle ne nous a pas tout dit, c'est le seul reproche que je peux lui faire maintenant car je regrette notre décision d'avoir laissé la clinique s'occuper des démarches pour la crémation.

 

 

Nous n'oublierons pas non plus la seconde qui a remplacé la première. Avant l'accouchement, elle a pris le temps de nous écouter. Elle nous expliquait à chaque étape ce qu'il allait se passer.

 

Nous lui avons confié les petits habits blancs qu'une amie était allée acheter pour nous. Elle m'a serrée dans ses bras pendant la pose de la péridurale. Elle a assisté ma gynécologue pour l'accouchement. Elle a nettoyé et habillé Auguste avant de me le mettre dans les bras.

 

Elle nous avait préparés à ce premier contact avec notre fils qui n'allait pas être simple. Nous avions des images morbides depuis notre entrée à la clinique. J'imaginais un monstre abîmé par les médicaments et les contractions, un corps effrayant marqué par la mort. Elle nous a dit qu'il était beau, que c'était bien un petit garçon, qu'il était bien développé mais qu'il n’aurait pas la tonicité d'un nourrisson vivant et qu'il était blessé à la main en nous assurant que cela n'avait vraiment rien de choquant.

 

Elle a fait rentrer ma maman dans la salle d'accouchement. Elle a contacté l’aumônière après l’accouchement et nous a organisé l'après midi un retour dans la salle où Auguste est né pour lui dire au revoir.

 

Avant de quitter la clinique, nous avions été transférés dans la troisième chambre et il nous a été très difficile de recontacter cette sage femme mais finalement elle est venue nous dire au revoir. Elle s'est excusée pour la fin de notre séjour où nous avions été mis à l'écart sans lien avec l'équipe de la maternité. Elle nous a même raccompagnés à l'ascenseur après nous avoir confirmé qu'elle venait de donner à Auguste la lettre que nous lui avions écrite et le doudou que ma maman avait acheté pour lui avant noël.

 

 

 

L’aumônière:

 

Rattachée à la clinique, elle intervient auprès des patients s'ils en font la demande.

 

Très vite, le jour de l'annonce, j'ai demandé s'il y a avait une chapelle dans la clinique. En dehors des mariages, des enterrements ou des baptêmes, je ne vais à la messe qu'une fois par an, la veille de noël. Ma foi n'a rien de classique. J'aime les églises. J'y ressens la force qui peut naître de la communion et l'union des personnes qui peuvent se rassembler dans ce lieu mais ça s'arrête là. Je ne peux pas croire que quelqu'un là-haut puisse décider de nous faire vivre de telles épreuves dans la vie.

 

Après l'annonce du drame, j'avais besoin de me recueillir dans ce lieu où d'autres avant moi s'étaient réfugiés sous le choc d'une nouvelle ou d'un résultat. En regardant les pierres de ces édifices, je ne peux qu'être humble et me rappeler que je ne suis que de passage ici et qu'il y en a eu plein, des hommes et des femmes, qui sont passés par là avant moi.

 

Il n'y avait ni chapelle, ni lieu pour se recueillir au sein de la clinique. On nous a alors proposé de contacter une aumônière. Mon conjoint respectait mon choix mais ce n'était pas le sien.

 

Cette dame aux cheveux longs et à la voix douce nous a apaisés tous les deux dès le premier jour. Mon conjoint était même impressionné par son intervention. Elle n'avait ni la tête ni le discours du vieux curé de ses représentations d'enfant.

 

Elle est revenue le deuxième jour. Elle a appelé la clinique une fois rentrée chez elle pour nous dire que le curé avec qui elle travaillait avait parlé de notre famille et d'Auguste lors d'une messe dans une église tout près de la clinique. Ça m'a fait du bien de savoir ça. Nous n'étions pas isolés.

 

Elle nous a promis de revenir après l'accouchement nous accompagner pour une cérémonie d'adieux entre nous avant que nous quittions la clinique.

 

Quand j'y repense, elle nous avait posé plusieurs fois la question de l'organisation des obsèques avant que nous nous décidions à signer le fameux document. Elle ne devait pas approuver notre démarche mais ne nous l'a jamais fait ressentir.

 

Je me souviens de ses larmes contenues, de ses mots, de ses gestes et de sa douceur. Elle avait choisi des textes. Nous n'avions rien préparé. Nous nous laissions guider. Notre petite cérémonie n'avait rien d'officiel. Une parenthèse spirituelle plein de chaleur en rupture avec la froideur du milieu médical qui nous entourait. Une communion autour de notre enfant. L’aumônière, ma maman, mon conjoint et moi autour du couffin d'Auguste. Un moment éclairé par un rayon de soleil et bercé de prières et de douces paroles.

 

 

Tout  le personnel de la crèche de ma fille:

 

Notre premier contact avec le monde réel après la clinique. Un contact tellement chaleureux, compréhensif et délicat. Il fallait bien cela pour que nous arrivions à confier notre enfant unique après le drame mais rien ne les obligeait à être si enveloppantes et présentes. Des conseils, des petits mots gentils et tellement de tendresse pour notre fille.

Nous avons bien pleuré dans ces locaux. Mon conjoint le premier le jour de l'annonce. Notre fille les jours où elle ne voulait pas nous quitter. Et moi, soit qui souffrais de la sentir triste, soit qui m'effondrais après avoir croisé une maman avec un nourrisson ou une autre qui me demandait où était le petit frère de ma fille.

Tout le monde au sein de la structure nous a soutenus. Je n'oublierai jamais le temps passé dans le bureau de la directrice et le dessin plein de collages colorés qu'elles avaient fait faire à notre fille pour nous. C'est aussi une des assistantes qui a commencé à parler à ma fille du jour où un autre petit frère ou une petite soeur serait dans mon ventre. Cet espoir dans la bouche de ma fille insufflée par cette dame m'avait fait tant de bien comme je le raconte dans mon récit.

 

 

Mon médecin généraliste:

 

Choquée de recevoir une lettre qui résumait notre histoire et qu'aucune copie ne nous ait été envoyée, elle a pris beaucoup de temps pour m'écouter.

 

C'est elle qui a appelé la clinique pour connaître le déroulement de mon suivi et les délais pour connaître les résultats de l'autopsie. C'est dans son cabinet que j'ai entendu ma gynécologue lui dire au téléphone que l'on avait qu'à maintenir les rendez-vous fixés pour l'accouchement pour nous transmettre les résultats et pour contrôler ma santé.

 

Des amis à elle étaient passés par là et elle savait que l'on ne pourrait pas s'en sortir seuls.

 

Elle nous a indiqué, pour notre fille, une pédopsychiatre qui n'attendait pas deux mois avant de pouvoir nous recevoir et reste encore aujourd'hui disponible pour répondre à nos questions.

 

Une femme vraiment formidable qui nous accompagne

aujourd'hui encore avec plein de bienveillance, de

patience et de générosité dans  une autre épreuve

que nous rencontrons aujourd'hui sur notre chemin.

 

le pédiatre de ma fille :

 

Lui aussi connaissait des amis qui avaient vécu ce drame. Il nous a fait part de son émotion et de sa disponibilité si nous voulions parler avec lui.

Il a mit l'accent sur les difficultés de communication dans un couple après un tel drame. Il était prêt à aborder avec nous toutes les questions personnelles et médicales qui nous viendraient à l'esprit à l'esprit même les plus bêtes.

Cela m'a touchée.

 

 

 

Une bénévole de l'association ASP deuil :

 

Je l'appellerai Madame N. Elle nous a reçus, mon conjoint et moi au retour de notre séjour à la montagne, la semaine de notre retour à la maison.

 

J'avais contacté l'association le deuxième jour à la clinique, consciente que le psychologue n'était d'aucun secours et que nos échanges devaient s'arrêter là. On avait pris mon numéro puis quelqu'un m'avait rappelée et nous avions convenu d'un rendez-vous. Ce serait Madame N. qui nous recevrait.

 

Ce premier entretien était chargé d'émotions puisque c'était le premier moment sans notre fille après le choc du retour à la vraie vie. C'était même très éprouvant de devoir tout expliquer. Elle n'était pas psychologue. Elle n'était pas médecin. Elle n'était pas passée par cette épreuve-là mais elle avait été formée pour écouter les personnes endeuillées.

 

Mon conjoint allait reprendre son travail et n'avait pas été convaincu par ce premier rendez-vous. Cette dame très gentille n'avait apparemment jamais accompagné de couples dans notre cas. Nous étions tous les deux d'accord sur le fait que sa grande sa qualité d'écoute et sa douceur étaient incontestables mais aussi que la question du deuil périnatal semblait très abstraite pour elle. J'allais donc y retourner seule la fois d'après tant que je n'avais pas un autre lieu de soutien en vue.

 

La veille de ce deuxième rendez-vous, je voulais annuler. Je devais m'y rendre seule et croiser des gens m'était très pénible.

 

Le jour du rendez-vous, une fois dans le tramway, je me suis dis que quelque soit l'effet que ce rendez-vous pouvait avoir sur mon moral, il avait au moins le mérite de m'obliger à sortir de l'appartement.

 

Une fois assise devant Madame N. j'ai réalisé que je ne pouvais plus me confier à elle sans la connaître davantage. Elle m'a raconté son parcours. Le climat de confiance était enfin établi.

 

Au fil des rendez-vous, elle s'est intéressée à la question du deuil périnatal. Je rappelle qu'elle est bénévole alors cette démarche m'a profondément touchée.

 

Puis elle a rencontré ma grand-mère qui m'a accompagnée une fois. En fait, elle n'a pas fait que la rencontrer. Elle l'a transformée. Elle nous a offert à toutes les deux un moment incroyable. Un moment vraiment précieux d'échanges et de partage. Pour ce lien qu'elle a tissé avec délicatesse et intelligence entre une grand-mère et sa petite fille, cette dame restera à jamais dans mon cœur.

 

Je lui ai donné le faire-part d'Auguste. Elle m'avait tant donné qu'elle devait connaître mon fils et la famille qu'elle aidait à chaque fois qu'elle me recevait dans cette salle du centre ville de Toulouse.

 

 

 

 

Un groupe de partage :

 

En complément des rendez-vous avec Madame N. j'avais fait la demande de participer à des rencontres avec d'autres parents endeuillés.

 

Cela a pris la forme d'un rendez-vous, en soirée, avec un groupe de partage. Je n'oublierai pas cette première expérience.

 

Réticent comme souvent, mon conjoint m'en veut de lui faire subir cette torture en fin de journée. Il m’annonce alors avant de monter l'escalier qui mène aux bureaux de l'association qu'il vient en tant qu'accompagnateur. Que l'on ne lui demande surtout pas de prendre la parole !

 

« Tu as quand même lu le papier que Madame N. m'avait donné pour toi concernant le déroulement de la séance ? »

« Quel papier ? »

 

Ça commence mal.

 

Nous sommes les derniers. La porte se ferme. Plusieurs personnes en cercle. Je ne peux m’empêcher de penser aux réflexions que mon conjoint marmonnait dans sa barbe pendant le trajet. T'es prête pour le tour de table des alcooliques anonymes? Moi, je venais de confier, pour la première fois depuis la clinique, notre fille à une amie alors je n'avais pas le cœur à plaisanter.

 

Mais, une fois sur place, je me demande si je vais pouvoir retenir le fou rire qui commence à monter dans ma gorge. Nous ne sommes pas les seuls gênés. La responsable nous explique le principe. Le ton est donné. Personne ne sera considéré comme un accompagnateur. Les mamans et les papas prendront chacun à leur tour la parole pour se présenter et raconter leur histoire. Un papa tente de se défiler en faisant remarquer qu'il ne va pas répéter ce que vient de dire sa femme. C'est exactement la réflexion que je pouvais imaginer sortir de la bouche de mon conjoint si ce papa n'avait pas eu le courage de le faire.

 

Les deux heures passées ensemble ont en effet montré l’intérêt de la prise de parole de chacun tant les versions pouvaient différer. Des larmes ont coulé. Notre histoire n'était pas celle des autres mais les mots et les sentiments ne pouvaient que faire écho à ce que nous ressentions nous.

 

Une maman qui a pris la parole après nous, m'a regardée et m'a lancé quelque chose comme ça:

 

« Si j'ai bien compris nos petits garçons sont ensemble maintenant »

 

C'est flou. Je ne me rappelle pas les mots exacts. Elle parlait du même monument des enfants du cimetière mais c'était comme si l'on venait de rencontrer et qu'au milieu de la conversation, elle m'apprenait qu'elle avait un fils aussi et qu'elle disait que nos enfants jouaient dans la même cour d'école. J'étais tellement émue. Auguste n'était pas seul et je me sentais bien. Ce soir, assise sur cette chaise, j'étais bien sa maman.

 

Mon conjoint réticent deux heures auparavant, a éclaté en sanglots au milieu de son récit. Il n'avait pas pleuré près de moi depuis la clinique. Il était dans sa bulle et avait déclaré que la boite dans laquelle il avait mis notre histoire était fermée. Ce soir-là, je me suis aperçue de sa fragilité derrière sa carapace et je savais que je n'étais pas seule malgré la distance qui s'était installée petit à petit entre nous les jours précédents. Une distance si évidente  ce soir, à l'opposé de ces couples assis près de nous, tellement attachants par leur complicité.

 

 

 

Si je parle de ces personnes, en plus de notre entourage, qui nous ont aidés c'est pour montrer tout d'abord, qu'elles existent et les remercier pour tout ce qu'elles ont fait pour nous.

Mais aussi pour rappeler que c'est la formation ou l'expérience personnelle de ces personnes qui en ont fait des aides précieuses. Sans formation ou vécu, le tabou qui a fait son Å“uvre ne permet pas à ceux et celles qui découvrent la question du deuil périnatal de nous accompagner sans maladresses.

 

Toutes les personnes du milieu médical doivent être formées.

 

Madame et Monsieur tout le monde doivent aussi avoir accès aux informations, aux statistiques, aux protocoles et aux conseils pour accompagner les personnes de leur entourage qui pourraient être amenées à traverser cette épreuve un jour.

 

La communication peut sauver et la désinformation tuer.

Une rencontre qui n'en est pas vraiment une puisque je connaissais déjà cette personne. C'est elle qui m'a fait les séances de préparation à l'accouchement.

 

Ma sage femme:

 

C'est mon conjoint qui l'avait tenue au courant par téléphone en deux trois phrases. Elle n'avait pas reçu de bilan par la clinique. Lorsqu'elle avait appelé, ils n'avaient pas voulu lui donner de mes nouvelles. Dans ma démarche de faire le tour de tous les professionnels qui ont suivi ma grossesse, j'ai rappelé son cabinet une journée remplie de plus de bas que de hauts. Elle m'a recontactée et nous avons pris un rendez-vous pour la semaine d'après. La salle d'attente où j'avais tant de bons souvenirs me donnait envie de vomir mais la séance qui a suivi valait la torture de mon entrée en ces lieux. Je vous avoue que je ne levais jamais la tête, que je me fermais à chaque fois qu'elle recevait un appel et que je me décomposais mon regard tombait sur un monitoring. Je ne m'attarderai donc pas sur les conditions mais sur le discours qui restait dans ma tête après la séance.

 

Voilà pour chaque séance ce que j'ai retenu. Je n'ai peut-être pas tout bien compris mais je vous donne ma version. Ce que j'écris là m'a marquée parce que personne avant ne m'avait parlé comme ça et j'en avais certainement besoin à ce moment-là, deux mois après la chute de mon petit monde.

 

PREMIèRE SéANCE :

 

(En me posant mes mains sur mon ventre.) Mon utérus est revenu dans mon bassin, il n’est plus dans l'abdomen.

 

(En déplaçant mes mains vers le thorax.) Le diaphragme, c'est la vie. Je suis maman mais je suis avant tout femme et je suis moi.

 

Mon corps a besoin de ma tête. On avance et on recule puis on avance à nouveau, ainsi va le chemin du deuil. Il faut reconnecter toutes les parties de mon corps.

 

L'étoile d'Auguste dans le ciel va me rendre plus forte et m'ouvrir aux petites choses importantes de la vie. 

 

Ce qui est arrivé va apprendre à ma grande fille comment on se relève vers la vie. C'est à moi de lui montrer cette force. J'ai le rôle de pilier dans ma famille alors mon corps ne doit pas s'épuiser. Il faut que j'en prenne soin.

 

Mon conjoint en me voyant avancer m’emboîtera la pas.

 

Deuxième séance :

 

Je n'avais pas pleuré depuis plusieurs jours malgré les bas qui pouvaient se présenter et pourtant j'ai versé de lourdes et chaudes larmes lors de cette deuxième séance. On a touché de près la position dans laquelle j'étais si bien : les deux mains sur le gros ventre d'une femme enceinte juste au dessous de la poitrine. Lorsque le ventre atteint ce stade, c'est que c'est bientôt l'heure pour le bébé de sortir. Les trois premier mois, je n'avais pas de ventre, les trois d'après, il avait bien grossi mais le septième et le huitième mois me rapprochaient de la rencontre avec mon petit garçon avec toute l'excitation que cela peut engendrer. C'est dans cette position que la sage femme m'avait d'abord rassurée à cause de son erreur et c'est dans cette position que j'ai entendu l'annonce qui à brisé ma vie. C'est dans cette position que je me vois heureuse et puis que l'on m'achève.

 

Sous mes mains aujourd'hui, plus d’utérus, plus de bébé, je le savais, mais cette douleur ne partait pas. Elle m'explique qu'il y a aujourd'hui sous ma main, mon estomac, l'organe de la colère et qu'il faut le mettre en marche pour qu'il digère cet événement.

 

C'est bientôt le printemps, il faut arrêter de subir et être dans la réalisation. Allier le mouvement de la spirale en respirant profondèment et en me concentrant sur les différents points de mon ventre, c'est redonner de l'impulsion à la vie.

 

Ne penser qu'au présent, pour l'instant, n'est pas si mauvais.

 

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