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Le 23 février 2015,

 

Il est 22h40. Elle dort depuis deux heures au moins chez ses grands parents. C'était si dur de la laisser. Ma grande puce n'a pas pris que des centimètres cette année. Elle a tellement gagné en maturité. Hier soir, elle réalisait que c'était la fin des vacances et que sa frise du temps sur le frigo était bien plus courte que le jour où nous avions décidé de la fixer là pour qu'elle découpe un jour tous les soirs.

 

« Bientôt maman, on sera cinq ! Â»

« Ah oui ? Â»

« Ben oui, papa, maman, moi,Auguste.. Â»

Son père la coupe : «  Tu sais qu'il n'est pas là ? Â»

« Ben oui, bien sûr , ça m’empêche pas de penser à lui.. Â»

Elle reprend en relevant un doigt de sa main à chaque fois : « papa, maman, moi, Auguste et le bébé ! Â».

 

Elle ne sait pas ce que nous attendons demain mais ses « maman, j'ai mal au ventre Â», «  maman, t'inquiète pas, on est là Â» me rappellent que privés des mots et des explications, les enfants restent sans aucun doute éponges de nos émotions.

 

Demain à 7h30, nous aurons une idée de l'heure où je serai admise à la clinique. Ces dernières heures pour attendre le branchement du monitoring me paraissent interminables. Comment tuer le temps ? Télé, coiffeur, resto..on a rempli la journée.

 

Et ce soir, c'était la dernière séance du groupe de partage à l'ASP. C'est fou comme les choses tombent ainsi, comme s'il fallait fermer un tiroir pour en ouvrir un autre, une façon de boucler la boucle.. C'était de toute façon le meilleur endroit pour passer la soirée, avec ceux qui l'ont vécu, qui nous ont aidés, écoutés et vus dans tous nos états. Ça valait la peine de traîner une dernière fois mon gros ventre à Toulouse. J'avais même pensé à prendre une chambre d'hôtel pour ne pas rentrer ce soir dans un appartement si calme mais je n'avais réussi à convaincre le futur papa.

 

En effet, il reste cette dernière épreuve de la nuit. Lui, il peut aller se coucher, il est fatigué d'avoir fait le ménage, d'avoir acheté son cadeau pour la petite, de s'être confié une dernière fois au groupe, et d'être entré dans la peau du conjoint prêt à tout à mes côtés.Moi, je suis dans cet appartement vide, sans enfants, avec une dernière nuit de grossesse, attentive à chacun des mouvements de la petite crevette dans mon ventre. Demain, pour la troisième fois, je vais devoir fermer les yeux sur mes douleurs, oublier ma pudeur, mes angoisses pour jouer le final : mettre au monde ce petit bout de chou.

 

J'attends cette rencontre depuis tant de jours que la projection est plus que virtuelle. Demain soir à la même heure ce petit être aura besoin de moi d'une autre manière. Vais-je avoir la force après ce parcours si chaotique, si douloureux, si usant, de lui offrir cela ? D'être tout simplement disponible?

 

Malgré tous les messages de soutien et de demande de nouvelles, je suis incapable de me détendre, et d'y croire. Je suis dans l'attente de deux moments que je n'ai jamais osé imaginer, par superstition certainement, et qui m'ont tant manqué à la naissance d'Auguste. Celui où ce bébé me regardera pour la première fois et le coup de fil à ma fille pour lui annoncer la naissance de sa petite sœur. Le reste m'est bien égal.

 

J'ai demandé à la dernière minute à ma grand mère de choisir le deuxième prénom du bébé et je suis très touchée d'avoir reçu sa réponse ce soir. Ma maman a passé du temps à coudre la fermeture éclair de la première gigoteuse de notre fille et s'est rendue disponible pour notre aînée, malgré tous les soucis qu'elle a en ce moment. Sa maman et ses deux autres enfants traversent de dures épreuves. Ma mamie, mon frère et ma sÅ“ur..comment puis-je me détendre ?

 

Je suis programmée pour donner naissance à cet enfant. Il faut que je me concentre sur cet objectif et que je mette le reste de mon petit monde entre parenthèses sinon, c'est sûr, je vais flancher. Ma maman parle de prendre l'avion pour le Canada, d'hôpital, de problèmes de santé et autour, les gens me sourient, me félicitent déjà pour cette belle étape à venir... Je suis un robot. Je suis en pilotage automatique. Je ne pense plus rien à propos de demain, de cette semaine et des jours à venir.

 

J'appellerai la clinique à 7h30 et je ferai ce qu'on me dira de faire. Mes limites seront celles de mes nerfs car les autres ont déjà été repoussées au plus loin que la nature le permet.

 

Je parlerai d'Auguste à ma seconde fille parce que ce qui est arrivé à son petit frère fait partie de son histoire mais le travail avec la psychologue, la sage-femme et l'association me permet ce soir de vraiment donner une place à ce troisième enfant malgré ce que cette CONNE d'anesthésiste peut penser.

 

Comme je l'ai dit lors de mon dernier rendez-vous chez la psychologue, je suis prête à ce que, cette fois-ci, ça se passe bien mais s'il vous plaît, si la vie en décide autrement, assommez-moi et trouvez-moi un asile. C'est dit, c'est écrit, ça a une valeur.

 

« Vous verrez mercredi, vous serez comme les autres mamans, débordée et fatiguée...mais ce sera une bonne fatigue Â»

 

C'est ce qu'elle m'a répondu. J'avoue que je préfère cela à l'asile. Si quelqu'un là-haut m'entend...

 

 

 

 

Ça fait plus d'un an que tout a basculé et en cherchant le sommeil, des phrases tournent dans ma tête. Ces maladresses qui m'ont fait mal, ces mots dont on a pas besoin et qui nous enfoncent..   

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